L’appropriation des espaces démocratiques – qu’ils soient physiques, intellectuels ou numériques – redessine aujourd’hui les contours mêmes de la citoyenneté et de la contestation politique. L’exemple du Népal, où la coupure brutale des réseaux sociaux en septembre 2025 a servi de déclencheur insurrectionnel, illustre de façon spectaculaire à quel point le numérique est devenu à la fois catalyseur de tensions et vecteur d’opportunités démocratiques. Ce qui n’était conçu que comme un instrument technique de régulation a soudain pris l’allure d’un acte politique, révélant la profondeur du malaise social et accélérant une dynamique de soulèvement populaire.
Car l’espace numérique n’est plus seulement un lieu de circulation d’informations. Il s’est imposé comme un véritable champ de luttes et un laboratoire de mobilisations. Ce terrain mouvant, où la e-generation – cette jeunesse hyperconnectée – expérimente de nouvelles formes d’engagement, échappe aux logiques classiques de contrôle. Les réseaux sociaux deviennent l’agora où se formulent les indignations, où s’agrègent les colères, où se tissent les solidarités. Nous ne sommes plus dans une simple extension du politique vers le numérique, mais bien dans l’émergence de ce que l’on pourrait qualifier d’e-politics : une politique façonnée dans et par le cyberespace, qui s’affirme comme un lieu de maturation démocratique à part entière.
Les précédents à travers le monde montrent que ce phénomène est loin d’être marginal. Dès décembre 2010 et janvier 2011, la #Tunisie puis l’#Égypte ont vu éclore des soulèvements populaires où #Facebook et #Twitter ont joué un rôle déterminant dans la mobilisation. En 2014, puis en 2019, #hongkong a connu de vastes vagues de protestations où #Telegram et d’autres applications chiffrées ont permis une organisation fluide face à un appareil répressif redoutable. Au Nigeria, en octobre 2020, le mouvement #EndSARS a démontré la puissance de Twitter et d’Instagram pour transformer une revendication sectorielle contre les brutalités policières en une mobilisation nationale et internationale. Aux États-Unis, en 2014 après #Ferguson puis en 2020 après l’assassinat de George #Floyd à Minneapolis, #blacklivesmatter a montré la force des hashtags comme vecteurs d’unité, d’indignation et d’action collective.
Pour les régimes autoritaires, cette évolution est un cauchemar permanent. Ils se découvrent incapables de verrouiller un espace virtuel qui défie les frontières physiques et les dispositifs répressifs. Dès le début des années 2000, certains ont cherché à bâtir de vastes systèmes de filtrage numérique afin de contrôler l’information et limiter l’accès au #cyberespace. D’autres ont durci la censure à mesure que leurs régimes entraient en confrontation avec leur société ou avec l’extérieur, renforçant le verrouillage des plateformes et la surveillance des usages. Dans de nombreux contextes, le recours à des coupures temporaires d’#Internet ou au blocage de réseaux sociaux est devenu une pratique courante pour étouffer les contestations et empêcher la coordination des mobilisations. L’expérience népalaise l’a montré avec force en 2025 : tenter de museler le cyberespace ne fait que renforcer la colère et délégitimer davantage un pouvoir déjà fragilisé par la corruption, le népotisme et l’inefficacité.
La territorialité des États se trouve ainsi bouleversée : elle ne se limite plus au territoire terrestre, maritime et aérien juridiquement balisé, mais doit intégrer cette dimension immatérielle, infinie et difficilement contrôlable qu’est le #numérique.
Au plan #géopolitique, cette extension de la souveraineté au-delà des frontières physiques confirme que nous sommes entrés dans une ère véritablement post-westphalienne. Les règles du jeu international ne se définissent plus seulement entre États. Elles se négocient désormais avec des plateformes transnationales, des entreprises technologiques et des communautés numériques capables de contester l’autorité politique.
L’insurrection népalaise de 2025 nous rappelle qu’il n’existe plus de séparation nette entre #virtuel et #réel. Ce qui est interdit ou réprimé dans l’un se traduit par une explosion dans l’autre. C’est cette porosité qui redéfinit les formes de légitimité politique, mais aussi les horizons possibles de la #démocratie au XXIe siècle.
Le temps est venu de reconnaître que le cyberespace n’est pas un simple prolongement du monde physique. Il constitue un espace sui generis, doté de logiques propres, l’un des principaux théâtres où s’élaborent les rapports de force, où se forgent de nouvelles identités citoyennes et où se testent les limites des régimes.
Dr Akila Bodian
Institut Fondamental d’Afrique Noire Cheikh Anta DIOP
Université Cheikh Anta Diop de Dakar
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