Ni avec Yewwi Askan Wi, dont il critique les méthodes, ni avec Macky Sall, qui devrait selon lui renoncer à se représenter, Babacar Diop, le maire de Thiès, veut tracer son propre chemin.
Par Mawunyo Hermann Boko
Babacar Diop est un homme ambitieux, qui se verrait bien marcher dans les pas de Léopold Sédar Senghor. Comme lui, il préside aux destinées de la ville de Thiès et, comme lui, il se verrait bien à la tête du Sénégal.
En tournée en France, pour la promotion de son livre « La vocation de servir », paru aux éditions Hermann, l’opposant en a proté pour rencontrer certains hommes politiques français, dont Pierre Laurent, vice-président communiste du Sénat.
Professeur de philosophie à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad) et à la tête du parti Forces démocratiques du Sénégal (FDS – Les Guelwaars), Babacar Diop a pris ses distances avec la coalition Yewwi Askan Wi (YAW), mais veut croire en ses chances de bouter Macky Sall hors de la présidence si celui-ci venait à briguer un troisième mandat.
Jeune Afrique : Condamné pour diffamation et poursuivi pour viols, Ousmane Sonko risque l’inéligibilité. Il serait alors le troisième opposant à ne pas pouvoir briguer la présidence depuis que Macky Sall est arrivé au pouvoir. Qu’en pensez-vous ?
Babacar Diop : Nous condamnons ce verdict inique [le 8 mai, Ousmane Sonkjo a été condamné à six mois de prison avec sursis pour diffamation et injure publique]. La justice est devenue un outil politique à la disposition de Macky Sall. À chaque fois qu’un opposant crédible apparaît, le président instrumentalise le pouvoir judiciaire pour le neutraliser.
Cela a été le cas avec Karim Wade, qui est aujourd’hui exilé à Doha, au Qatar. Il en a été de même pour Khalifa Sall, l’ancien maire de Dakar.
Aujourd’hui, c’est Ousmane Sonko. Cette manière de vassaliser les institutions est inacceptable. Notre démocratie est en déclin et en danger.
Vous avez été élu à la tête de la mairie de Thiès lors des locales de janvier 2022 sous la bannière de YAW, la coalition conduite justement par Ousmane Sonko. Pourquoi avoir pris vos distances ?
Yewwi Askan Wi était un grand projet de libération qui cristallisait les espoirs. J’en suis d’ailleurs l’un des membres fondateurs. Mais depuis quelques mois, cette coalition a abandonné ses principes pour s’engager dans de petits calculs et devenir aujourd’hui un cimetière de promesses trahies.
C’est-à-dire ?
Lors des investitures des législatives de juillet 2022, certains leaders ont pensé que me laisser m’imposer dans une ville aussi stratégique que Thiès – dont je suis déjà le maire – serait dangereux. Si j’avais été élu député, cela aurait donné une très forte visibilité à mon parti et aurait menacé leur propre leadership. Ils ont donc mis en place une véritable entreprise de liquidation des FDS-Les Guelwaars.
À
Vous n’avez en fait pas digéré d’être écarté des investitures pour les législatives ?
Un quarteron de généraux en retraite, de leaders assoiffés de pouvoir et d’hégémonie ont voulu écarter des jeunes qui ont leur propre identité et qui ont une volonté de construire un mouvement populaire. Voilà ce qui s’est passé.
Qui visez-vous ? Ousmane Sonko ?
Je ne vise personne. Je vise des pratiques. Lorsque vous dénoncez les méthodes antidémocratiques de Macky Sall, il faut se battre pour être vous-même irréprochable. Or Yewwi Askan Wi a depuis longtemps abandonné ses principes, et c’est regrettable.
Depuis plus d’un an, vous êtes donc le maire de Thiès, qui était auparavant dirigée par Talla Sylla, lequel est aujourd’hui ministre conseiller du président Macky Sall…
Et je l’ai trouvée dans une situation scandaleuse. Il y avait par exemple un clientélisme dans le recrutement du personnel. J’y ai mis un terme pour engager la ville de Thiès dans un travail de modernisation. J’ai réduit la masse salariale de plus de 30 %. Il y avait également une gabegie au niveau des dotations de carburant à laquelle j’ai mis.
QUAND ON EST MAIRE DE THIÈS, NATURELLEMENT, ON PENSE AU PALAIS DE LA RÉPUBLIQUE.
Quel bilan dressez-vous de cette première année ?
J’ai inscrit la bonne gouvernance, la transparence et la reddition des comptes au cœur de ma gestion. La mairie de Thiès a un budget de 2,3 milliards de francs CFA. C’est beaucoup trop faible pour une ville qu’on présente comme la deuxième du pays.
Nous avons cependant changé beaucoup de choses. J’ai littéralement hérité d’une ville qui était tombée dans l’obscurité. En quelques mois, nous avons remis l’éclairage public dans les grandes avenues, artères et quartiers périphériques.
J’ai aussi engagé une lutte pour récupérer les espaces publics qui étaient presque consqués par des entreprises qui occupaient pour certaines le patrimoine communal sans rien payer. Nous sommes en train de les réhabiliter pour permettre à la jeunesse de jouir de ces lieux récréatifs.
Nous avons octroyé plus de 600 bourses d’études à des jeunes issus de familles vulnérables. Nous avons également un programme pour l’autonomisation des femmes. Et nous travaillons à la création d’un festival international des lms francophones, dont Youssou N’Dour sera le parrain et qui débutera l’année prochaine.
La ville de Thiès sera-t-elle votre tremplin pour la magistrature suprême ?
Quand on est maire de Thiès, naturellement, on pense au palais de la République. Thiès est une très grande ville sur le plan historique et culturel. C’est la ville de Senghor, qui fut son premier maire élu en 1956. Aujourd’hui c’est un honneur pour moi d’occuper le même bureau que lui et de rêver au même destin, de vouloir devenir président de la République.
Que pensez-vous pouvoir apporter aux Sénégalais ?
Je viens du Sénégal d’en bas, j’ai grandi dans un quartier populaire. J’ai vu la souffrance des jeunes qui sont sans perspectives. Je suis le candidat des pauvres, des sans-voix, de ceux qui n’ont personne pour parler en leur nom. Je veux être le président des couches vulnérables.
Je veux engager le Sénégal dans une grande entreprise de souveraineté politique, économique, alimentaire et monétaire.
Mais les candidatures au sein de l’opposition sont déjà nombreuses. N’êtes-vous pas juste un candidat de plus ?
Je ne suis pas un candidat de plus et le pluralisme est toujours une chance. La démocratie, c’est donner la possibilité à ceux qui ont des projets de confronter leurs idées et de permettre au peuple d’arbitrer cette confrontation le jour des élections.
LE TROISIÈME MANDAT EST CONSTITUTIONNELLEMENT ILLÉGAL, MORALEMENT INACCEPTABLE ET POLITIQUEMENT DÉLÉTÈRE
On peut aussi vous opposer votre inexpérience politique…
Ma chance, c’est que je suis un homme nouveau avec des idées nouvelles, un projet nouveau. Il n’est écrit nulle part que pour être président de la République, il faut d’abord être ministre ou Premier ministre.
Répondrez-vous à l’appel au dialogue politique de Macky Sall, qui entretient encore le ou sur ses intentions de briguer un nouveau mandat ?
Le troisième mandat est constitutionnellement illégal, moralement inacceptable et politiquement délétère, car porteur de violence pour notre pays. C’est pourquoi nous rejetons le dialogue politique proposé par Macky Sall. C’est un coup de poker simplement pour endormir l’opposition. Des dialogues politiques ont déjà été lancés en 2016, puis de nouveau en 2019. Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Cela a juste servi à débaucher des éléments de l’opposition en les faisant entrer au gouvernement.
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Macky Sall doit aujourd’hui poser des actes forts pour prouver qu’il est sincère. Et la première chose à faire est de libérer les 300 détenus politiques et d’opinion qui sont en prison. Il doit ensuite se prononcer solennellement sur la question du troisième mandat et y renoncer.
En 2011, les manifestations contre la troisième candidature d’Abdoulaye Wade avaient fait quatorze morts. Nous n’avons pas besoin d’instabilité politique au Sénégal. Nous voulons la paix. Macky Sall ne doit pas être celui qui aura mis le feu à notre démocratie.